Israël, Libye, Chypre, Turquie: quand l’énergie contrôle le monde

Quel événement est en train de chahuter la Turquie, la Libye, Chypre, la Grèce, Israël, l’Egypte, l’Allemagne, l’Italie, l’Europe et la Russie? Un indice: «La malédiction ne plane pas seulement sur le pétrole. Posséder ou dépendre du gaz peut parfaitement faire l’affaire.»

La réponse ouvre la porte sur une rocambolesque situation géopolitique que vient de créer l’exploitation du gisement gazier de Léviathan par Israël.


La Méditerranée a offert un cadeau empoisonné à l’Etat hébreu sous la forme d’un gisement gazier d’une capacité de 9,5 milliards de mètres cubes par an. En plus de satisfaire à sa consommation interne, ce gisement va permettre à Tel-Aviv d’exporter les excédents à l’Egypte, à la Jordanie, à la Grèce et à l’Europe.

Pour ce faire, Israël s’est associé à Chypre. L’île exploite déjà un gisement gazier dans ses eaux territoriales. Avec la Grèce, les trois pays ont planifié la construction du gazoduc Eastern Med.

 

Erdogan entre en scène

Il n’en fallait pas plus pour que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, entre en scène et se saisisse de cette opportunité. En redéfinissant ses frontières maritimes, la Turquie pourrait à la fois bloquer la construction du gazoduc israélo-chypriote et s’approprier des gisements actuellement en dehors de ses eaux territoriales.

Sa stratégie repose sur deux piliers. Le premier élargit son territoire maritime au-delà de la partie nord de Chypre, qu’Ankara a annexée (ou reprise, c’est selon) en 1974.

Le second démontre le sens tactique d’Erdogan. Alors que le général Haftar et le président Fayez el-Sarraj se battent pour prendre le contrôle de la Libye, le président turc a proposé à Fayez el-Sarraj son soutien militaire en échange d’un accord commercial. En une signature, la Turquie vient de créer artificiellement un corridor maritime exclusif qui relie les deux pays et bloque la partie sud-est de la Méditerranée.

 

La Libye

Depuis avril 2019, la Libye fait face à une intense guerre de pouvoir entre les deux hommes forts. Porté par la Russie et l’Egypte, le général Haftar fait le forcing afin de s’emparer de la capitale, Tripoli, et in fine du pays. De son côté, la Turquie a misé sur le gouvernement d’union nationale du président Fayez el-Sarraj, soutenu par l’Europe et les Etats-Unis. Ankara a immédiatement envoyé des troupes militaires pour bien sceller l’accord.

Pendant ce temps, le général Haftar a bloqué les exportations et la production pétrolière afin d’asphyxier la Libye. Le pays pourrait retourner dans le chaos avec la perspective d’une émigration de masse vers l’Italie. Si l’Allemagne a assuré son approvisionnement gazier avec deux gazoducs reliés directement avec la Russie, Angela Merkel tremble déjà à l’idée d’une arrivée massive de nouveaux migrants.

 

Apathie européenne

Afin de s’approprier les gisements, le président Erdogan utilise la même stratégie musclée que Pékin en mer de Chine. Il n’hésite pas à envoyer son armée pour faire cesser les recherches gazières de Chypre et d’Israël et à menacer la Grèce avec ses avions de chasse.

Devant l’apathie et la faiblesse de l’Europe, la communauté internationale pourrait se retrouver de facto devant un fait accompli et une annexion tacite du gaz sud-méditerranéen par Ankara.

Au cœur de l’intersection de plusieurs gazoducs en provenance de Russie, du Kazakhstan et du Moyen-Orient, la Turquie est en passe de contrôler le transport et une importante partie des livraisons de gaz à l’Europe.

Dans cet imbroglio, la photo de famille ne serait pas complète sans y ajouter Moscou et son champion, Gazprom, qui ambitionnent le même dessein de puissance énergétique que la Turquie.

 

Bien malin qui pourra dire comment cette pelote se démêlera dans les mois à venir. A voir les positions de chacun, la maxime «celui qui contrôle l’énergie contrôle le monde» est parfaitement intégrée par les Trump, Poutine, Xi Jinping ou Erdogan.

Pour les pays consommateurs, il ne fait vraiment pas bon souffrir d’addiction.

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